Les 8 confessions olfactives de Frédéric Malle

Rencontre
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Publié le 22 mai 2024


Frédéric Malle est un observateur. D’un regard, il scanne et décrypte celles et ceux qui l’entourent. Nous y compris. Comme s’il tentait de nous deviner. Ou, peut-être, de nous sentir.


Pour le nouveau rendez-vous de La Gazette, Les Confessions Créatives — devenues Confessions Olfactives à cette occasion, dans l’intimité des Salons Particuliers du Bon Marché Rive Gauche, il s’apprête à révéler certains de ses secrets « Qui ne le seront bientôt plus, bien entendu », souligne l’intéressé, qui revient pour nous sur ce qui a marqué les 24 années d’une Maison de parfums singulière.


Frédéric Malle dans Les Salons Particuliers du Bon Marché ©Le Bon Marché Rive Gauche

« Il n’y a pas plus révélateur, plus transparent que le parfum que l’on porte. C’est là que réside la vérité. Nos vêtements, notre coiffure, nos accessoires projettent l’image que nous voulons renvoyer, mais restent en surface. Ce qui relève du visible est un travail conscient. Le parfum, lui, raconte toute la profondeur, toutes les contradictions de notre personnalité. »

- Frédéric Malle

Une intuition

« On pense souvent, et à tort, que j’ai créé les Éditions de Parfums Frédéric Malle pour mettre sur le devant de la scène des parfumeurs et des parfumeuses qui, jusqu'ici, œuvraient en coulisse. Mais la genèse est plus ancienne, plus profonde. Tout commence en effet par une double frustration. La frustration des parfumeurs que j’admirais, qui ont vu à la fin des années 90 leurs créations soudain vendues au tout-venant, par des personnes qui ne connaissent pas vraiment leur métier. Et la frustration de mes amis artistes, comédiens, écrivains, qui n'avaient pas envie de sentir comme leurs parents ou leurs grands-parents et ne trouvaient pas dans les propositions du moment ce génie, cet élan qu'avaient pu avoir certaines grandes créations du passé. Mon idée fut finalement très simple : tracer un trait d'union entre les meilleurs parfumeurs du métier et un public sensible, curieux, hédoniste. J'ai voulu montrer que l’on pouvait donner vie à une parfumerie contemporaine de qualité. »


Une surprise

« Que ces parfumeurs me suivent en me disant oui tout de suite. C'était un grand moment de stupéfaction. Mais ils et elles ont immédiatement vu mon projet comme une oasis salvatrice. Un monde parallèle au sein duquel ils et elles pourraient enfin s'exprimer librement. Sans bâillon, sans études marketing, sans aplatissement des goûts et des odeurs, sans contraintes budgétaires et surtout, sans intermédiaire. Ces talents pouvaient redevenir les artistes qu’ils étaient. Cette surprise ne fut pas la seule, puisque j’ai ensuite été accueilli très positivement par les grands laboratoires. Moi qui pensais les gêner en faisant travailler les talents qu’ils employaient, j’ai compris que j’étais pour eux un formidable laboratoire d’expérimentation. Je permettais à leurs talents de rester motivés et créatifs, tout en leur offrant la possibilité de surveiller ce qui allait marcher ou non en ne prenant eux-mêmes aucun risque. »

Un nom

« À la genèse du projet, j’avais appelé ma société Nouvelles Éditions de Parfums. Mon père avait en effet monté une société de production de cinéma pour financer les films de mon oncle, Louis Malle, qui s'appelait Nouvelles Éditions de Films. Ce clin d'œil s’est ensuite avéré très juste, parce que mon travail ressemble justement énormément à celui d'amis éditeurs. Ce suivi, cette façon de s'adapter à chacun, d’être ‘au service de’ pour faire advenir le meilleur me convient bien. Je suis davantage éditeur que pur parfumeur. »


Un flacon

« Moi qui suis passionné par les images, je me suis fait violence pour dessiner un flacon unique, extrêmement simple, qui pouvait contenir tour à tour un parfum très sensuel et une Cologne. J’ai ensuite cultivé cette rareté des images — jusqu’à aller à ne montrer aucun ingrédient. Je voulais ne laisser aucun autre choix que de se projeter dans la personnalité du parfum. De le voir, de le sentir et de le ressentir pour lui-même, sans filet. Ce que l’on sait moins, c’est que ce dénuement volontaire a grandement participé à nourrir notre image confidentielle, haut de gamme, rare. Et cela sans grosse campagne marketing. Cela tombait bien : au lancement, en 2000, nous n’en avions pas les moyens. »


Une identité

« J’ai trouvé moi-même les noms de l’intégralité des parfums des Éditions de Parfums Frédéric Malle. Pour y parvenir, je commence d’abord par imaginer la personne qui le portera. Je me figure très précisément sa personnalité, son attitude, les lieux qu’elle fréquente. Certains parfums conviennent à toutes et tous, peu importe l’endroit. C’est le cas de Vétiver Extraordinaire, que l’on porte en toute occasion. »

Un flair

« Pour savoir qu’un parfum est bon, je m’assure de la cohérence de son univers tout entier. De son ‘monde’. Lorsque l’on s’imagine une époque par exemple, la musique va avec la mode, la mode va avec l'art, l'art va avec les courants politiques, les courants politiques vont avec la gastronomie du moment. Tout va ensemble. C’est lorsqu’un parfum devient un décor complet, sans faille, en trois dimensions, que l’on sait qu’on a terminé de travailler. »

 

Une méthode

« Comment les parfums se composent sans notes de musique à écrire et sans images à regarder ? J’associe chaque odeur, chaque matière première à une émotion, une attitude, un style, une aura. Mises bout à bout, on croirait un cadavre exquis (ce jeu littéraire inventé par les surréalistes, NDLR), qui ne veut pas tout de suite dire grand-chose. Mais qui pose les bases d’un monde. Alors on réarrange, on enlève une couche de matière, on la remplace par une autre. Progressivement, le monde prend corps et nous transporte avec lui, nous invite à le suivre. C’est ainsi que l’on travaille, en faisant du découpage. On réédite ainsi notre cadavre exquis olfactif à l’infini, jusqu’à ce qu’il sonne juste. Jusqu’à ce que ce qui semblait incompréhensible devienne une phrase de Voltaire. »

 

Une collaboration

« Les seules collaborations que je regrette sont celles que je n’ai pas faites. Et Acne Studios en faisait partie. J’ai toujours admiré le travail de Johnny Johnson, fondateur de la marque. Ses créations dégagent le cool le plus rare : celui qui dure, ne prend pas une ride et traduit pourtant parfaitement l’époque. J’ai donc profité d’un séjour à Stockholm pour lui écrire une vraie lettre, sur du papier. La suite est allée vite car il portait déjà nos créations. Il est venu très préparé, avec des références, des envies et beaucoup d'honnêteté. Avec la jeune parfumeuse Suzy Le Helley, nous avons travaillé une création faussement naïve, qui rappelle la Cajoline, l’innocence, le propre. C’est un cocon, à la fois néoclassique et réconfortant. »