La Gazette a croisé… Subodh Gupta et Frédéric Bodenes

Subodh Gupta est artiste. Frédéric Bodenes, Directeur Artistique et Image du Bon Marché Rive Gauche. Ensemble, ils ont donné naissance à « Sangam », l’exposition d’art contemporain à presque ciel ouvert de ce mois de janvier 2023. Leur point commun ? Leur goût des rencontres. Voici la leur.


© Le Bon Marché Rive Gauche

Rencontre

La Gazette : Cela fait plusieurs mois que vous échangez quotidiennement au sujet de « Sangam ». Mais vous rappelez-vous votre toute première rencontre ?

 

Frédéric : La première fois que je t’ai vu, Subodh, c’était en 2017, à Art Basel, au cœur de ton œuvre Cooking the World. Nous avons échangé très rapidement car tu étais aux fourneaux, occupé à nourrir tes visiteurs. J’étais déjà familier de ton travail pour avoir vu l’une de tes expositions quelque temps auparavant, en Inde. J’avais même eu la chance de visiter ton atelier, mais tu étais absent. Et puis, il y a eu la « vraie » rencontre, suite à tes expositions de Beaubourg et de la Monnaie de Paris. C’est là que je t’ai proposé de monter une exposition d’art contemporain avec Le Bon Marché.

 

Subodh : Je m’en souviens très bien. Après m’avoir exposé ce projet, je t’ai invité à passer quelques jours chez moi, à Delhi. Tu as pu rencontrer mon entourage, dont mon épouse, et partager nos repas…

La Gazette : Inviter une personne chez soi est assez intime, d’autant plus sur plusieurs jours. Subodh, pourquoi était-ce si important de recevoir Frédéric chez vous ?

 

Subodh : C’est culturel en Inde. On invite chez soi les personnes qu’on aime et on valorise le fait de mêler famille et amis. Et puis, j’aime cuisiner ! La cuisine fait partie de ma pratique artistique depuis des années. On retrouve des casseroles dans plusieurs de mes œuvres. Ça rappelle à ceux qui les voient leur maison, leurs racines, leur enfance. 

 

Frédéric : C’est ce qui me touche dans tes œuvres. Tu fais vivre à tes publics des expériences très personnelles, finalement.

 

La Gazette : Subodh, quel effet cela fait, d’être approché ainsi par Le Bon Marché ?

 

Subodh : Il y a quelque chose de magique, de paranormal. Déjà, parce que ce magasin est différent des autres. Au fil des ans, il a gagné une légitimité artistique qui me pousse, en tant qu’artiste, à explorer de nouvelles pistes. Ensuite, parce que Le Bon Marché m’autorise à rêver. J’ai appris en travaillant avec vos équipes que vous aimiez autant que moi les défis. Spirituels ou techniques ! C’est ce qui m’anime.

« La cuisine fait partie de ma pratique artistique depuis des années. On retrouve des casseroles dans plusieurs de mes œuvres. Ça rappelle à ceux qui les voient leur maison, leurs racines, leur enfance. »

Subodh Gupta

La Gazette : Frédéric, cela fait déjà sept ans que vous confiez les clés du Bon Marché à un artiste contemporain pour une exposition en janvier. Qu’est-ce que celle-ci a de particulier ?

 

Frédéric : Subodh a travaillé des accumulations d’ustensiles du quotidien. Des casseroles, friteuses, faitouts et marmites de seconde main auxquelles on ne prête habituellement pas attention, et qui prennent soudain une dimension théâtrale. Pour moi, cela fait écho aux objets que l’on vend aussi au Bon Marché. Grâce à Subodh, on les regarde eux aussi différemment, en se rendant compte qu’ils pourraient être des œuvres d’art.

 

Subodh : Et puis, les objets de cuisine que je mets en scène s’adressent à tous et toutes. Je veux réveiller chez les gens des choses uniques.

 

Frédéric : Et ça marche. Tes ustensiles me rappellent ma grand-mère, mon oncle… Parce que je projette sur tes œuvres des choses qui n’appartiennent qu’à moi, elles deviennent miennes.

La Gazette : Frédéric, à quoi ressemblait le brief que vous avez donné à Subodh et qui a donné naissance aux trois ensembles d'œuvres de cette exposition ?

 

Frédéric : Le brief… c’est qu’il n’y en a pas. Nous donnons carte blanche à l’artiste. Le seul point de départ que l’on donne aux artistes avec lesquels on travaille, c’est de livrer leur interprétation de la couleur blanche. Et depuis sept ans, j’arrive encore à être surpris par les œuvres produites !

 

La Gazette : Subodh, quelle a été votre interprétation du « blanc » dont parle Frédéric ?

 

Subodh : Elle n’a pas été littérale. J’ai proposé de recouvrir de miroirs la pièce la plus monumentale, placée au rez-de-chaussée et culminant à plusieurs mètres de haut. C’est une conversation entre le magasin, les visiteurs et l’œuvre d’art.

La Gazette : Comment voyez-vous le fait de présenter des œuvres non pas dans une galerie ou un musée, mais dans un magasin ?


Subodh : C’est hors du commun. On voit toujours l’art dans des espaces blancs, nus, hors du monde. Ici, c’est tout l’inverse. Le Bon Marché fait venir l’art dans la vraie vie. Je suis heureux de montrer l’art contemporain différemment, facilement. Ici, pas besoin d’acheter un ticket pour le voir. J’aime les lieux de vie et de passage. L’Inde est un pays très peuplé, j’ai l’habitude de vivre entouré. Avec Le Bon Marché, mon art devient théâtre.



La Gazette : Et le mot « Sangam », alors, qui sert de titre à l’exposition ? Que signifie-t-il pour chacun de vous ?

 

Subodh : En Inde, Sangam est le lieu où trois rivières sacrées se rejoignent. Quand je contextualise ce mot dans le cadre de l’exposition, c’est aussi une rivière de gens venant du monde entier, et qui convergent en un seul endroit.

 

Frédéric : Pour moi, Sangam est une connexion entre l’œuvre et les produits qui se trouvent autour. « Sangam » est partout et mélange tout. L’art, la musique, la mode… Ça pourrait être le nouveau nom du Bon Marché.

« Sangam est partout et mélange tout. L’art, la musique, la mode… Ça pourrait être le nouveau nom du Bon Marché. »

Frédéric Bodenes