Rencontre avec Mehmet Ali Uysal

Mehmet au bon marché

Né à Mersin en Turquie en 1976, Mehmet Ali Uysal a étudié l’architecture et la sculpture à Bourges et Ankara. Il vit aujourd'hui entre Istanbul et Paris et est l'une des figures majeures de la scène artistique contemporaine turque. Exposées dans des musées, galeries et collections privées aux quatre coins du monde, ses œuvres se caractérisent par leur capacité à déconstruire l’espace des lieux qu’elles investissent et à bouleverser nos repères.


Rencontre !

Bonjour Mehmet, pourriez-vous nous définir votre relation avec l’eau ?

Ça remonte à l’enfance. Je suis né face à la mer Méditerranée. Pour moi, la mer est une chose, l’eau en est une autre. Je trouve que l’eau est sublime pour deux raisons : son mouvement incessant et son changement perpétuel. Mon village était en face de l'île de Chypre. On peut y apercevoir l’île lorsque le temps est clair, elle est cependant invisible lorsque le climat est humide. On scrutait toujours l’horizon pour voir Chypre apparaître, l’idée d’une rive au-delà de l’immensité était rassurante.


Regarder l’océan nous rendait heureux. L’océan et plus généralement l’eau est un élément capital de notre écosystème à bien des niveaux.

« J’ai failli me noyer en mer à l’âge de 4 ans. J’ai alors appris que la mer était à la fois magnifique et effrayante. » - Mehmet Ali Uysal

Qu’évoquent pour vous les icebergs ?

Je n’ai jamais vu d’iceberg, mais ces blocs de glace me fascinent. Je lis des articles scientifiques, je regarde des documentaires, j’espère avoir l’occasion d’en voir un jour. Cette recherche m’a fait prendre conscience des bouleversements climatiques et du rôle de régulateur que jouent les icebergs. J’essaie de comprendre leur forme, d’imaginer comment celle-ci s’est faite. C’est beaucoup plus que de l’eau gelée !

Comment s’est manifestée votre prise de conscience à l’égard de l’environnement, du réchauffement et de la fonte des glaces ?

Personnellement, comme beaucoup de citadins, je n’ai pas directement été confronté aux effets du changement climatique. Cet été, j’en ai fait l’expérience pour la première fois, c’était intense, palpable. J’étais en Turquie où j’ai un atelier situé dans la forêt. Pendant une vingtaine de jours, nous avons été encerclés par les feux de forêt. C’était inimaginable, la forêt s’est embrasée sous l’effet du climat chaud et aride. A ce moment-là, j’ai réalisé que quelque chose changeait, dans le monde et dans ma vie personnelle aussi. Chacun va vite s’apercevoir de ces changements dans un futur proche, ça n’aura pas lieu dans 15 ans, c’est imminent...


Je ne suis pas un militant, mais je suis plus conscient de la situation depuis quelques années.

« Petit à petit je mesure plus directement les conséquences du changement climatique. J‘apprends et j’essaie d’agir à mon échelle. » - Mehmet Ali Uysal

Pouvez-vous présenter le projet imaginé pour Le Bon Marché Rive Gauche ?

Quand j’ai reçu l’invitation de la part du Bon Marché Rive Gauche, j’étais très heureux ! C’est un lieu iconique, qui présentait des contraintes techniques, j’ai fait quelques recherches sur l’histoire d’un premier grand magasin. J’ai présenté plusieurs projets aux équipes du Bon Marché qui m’ont accordé une grande liberté. C’est ainsi que m’est venue l’idée d’inonder le Bon Marché Rive Gauche en souhaitant mêler l’élément naturel qu’est l’eau à un élément culturel construit et organisé par les hommes : le grand magasin. Immerger cette architecture iconique est très symbolique.


L’inspiration est venue d’elle-même. J’ai imaginé ce projet pendant le premier confinement de l’épidémie de Covid 19. Je prenais conscience des liens entre cette situation mondiale chaotique et l’environnement et je cherchais à comprendre ce qu’il en était.

Comment considérez-vous votre rôle en tant qu’artiste ?

En vérité, je crains d’utiliser le mot artiste pour me définir. Parce que je ne me suis jamais considéré comme un artiste. Pour moi un artiste, c’est quelque chose d’autre. Certains artistes se considèrent comme tel de manière assurée, d’autres pas du tout. Je suis entre les deux. C’est difficile pour moi d’affirmer que ce que je fais est de l’art. A chaque fois que je rencontre des personnes qui sont sûres d’elles-mêmes, je me questionne : pouvons-nous être certains de toutes choses ? Si on est sûr de tout, il y a quelque chose d’erroné. Je réalise des installations en premier lieu pour moi et pour les gens autour de moi, j’aime jouer avec ma perception des choses et celles des autres. Je n’ose pas vraiment dire ce genre de chose, mais si j’étais un collectionneur, je n’achèterais pas mes œuvres. Parce que ce ne sont pas des créations que tu mets sur les murs de ta maison, mais plutôt dans ta tête. Ce sont les idées qui m’intéressent, je me sens plus proche du poète, que de l’artiste. Les poètes sont aussi des artistes, je joue avec les idées qui me viennent. Je ne veux pas décorer des lieux, je veux embellir des esprits, décaler des façons de penser dès que j’en ai l’opportunité.


Pour Le Bon Marché Rive Gauche, je joue avec l’idée de la consommation. Je suis très impatient de découvrir les installations in-situ, de voir comment cela me touchera et si cela aura un impact sur les personnes qui viendront les voir.

« Ce sont les idées qui m’intéressent, je me sens plus proche du poète, que de l’artiste. » - Mehmet Ali Uysal

Découvrez l'exposition Su jusqu'au 20 février